CHAPITRE XVIII - Le stratagème de Claude

 

 

Assise dans l'obscurité, Claude écoutait la respiration paisible d'Annie et attendait le retour de Mario. Comme il lui tardait de revoir Dagobert! Sa blessure à la tête était-elle très grave?

Une idée lui vint à l'esprit. Elle renverrait Dagobert à la ferme avec un billet attaché à son collier; il avait déjà rempli des missions de ce genre et s'en était tiré à son honneur. Les secours ne tarderaient pas à arriver. Dagobert retrouverait facilement son chemin, même dans le labyrinthe sous la colline.

Un reniflement annonçait l'approche de Mario. Le petit gitan se glissa dans la prison. Claude constata qu'il était seul et le cœur lui manqua.

«Je n'ai pas osé prendre Dagobert, dit-il. Mon père l'a attaché tout près de lui et il se serait réveillé. Mais je vous ai apporté un couteau.

— Merci, Mario, dit Claude qui prit le couteau et le mit dans sa poche. Ecoute. Tu vas me rendre un grand service.

— J'ai peur, dit Mario. Si peur!

— Pense à la bicyclette, dit Claude. Rouge peut- être, avec un guidon argenté. »

Cette image décida le petit gitan.

« Bon, dit-il. Que faut-il que je fasse?

— Je vais écrire un billet, dit Claude en sortant de sa poche un crayon et un calepin. Tu l'attacheras au collier de Dagobert et tu remettras mon chien en liberté. Tu veux bien? Il retournera en courant à la ferme avec le message; on viendra nous chercher, Annie et moi, et tu auras la plus belle bicyclette du monde.

— Et une maison pour y habiter, dit Mario. Et je pourrai aller à l'école avec mon vélo?

— C'est cela, dit Claude espérant que le vœu du petit garçon serait exaucé. Attends une minute. »

Elle se mit en devoir de griffonner le billet, mais elle avait à peine écrit quelques mots quand elle entendit du bruit dans le passage. Quelqu'un toussait.

« C'est mon père, dit Mario effrayé. Si vous coupez vos cordes, croyez-vous que vous pourrez retrouver votre chemin?

— Je ne sais pas, j'ai peur que non, chuchota Claude prise de panique.

— Je vous laisserai des signes de piste, dit Mario. Je vais me glisser dans le souterrain à côté et j'irai détacher Dagobert. »

Il s'esquiva juste à temps. La clarté d'une lanterne brillait dans la caverne et le père de Mario était là, sombre et farouche.

« Avez-vous vu Mario? demanda-t-il. Je ne l'ai pas trouvé quand je me suis réveillé. Si je l'attrape ici, je le fouetterai jusqu'au sang.

— Mario! Il n'est pas là, dit Claude en feignant la surprise. Rendez-vous-en compte vous-même. »

Castelli aperçut le calepin et le crayon dans la main de Claude.

« Qu'écrivez-vous? » demanda-t-il d'un ton soupçonneux, et il lui arracha la feuille de papier. « Ah! vous demandiez de l'aide! Et comment pourriez-vous l'obtenir, j'aimerais bien le savoir. Qui devait porter cette lettre? Mario?

— Non », dit Claude, ce qui était l'exacte vérité.

Le gitan fronça les sourcils et regarda de nouveau le message.

«  Ecoutez-moi bien, dit-il, vous allez écrire un autre billet pour les deux garçons. Je vais vous le dicter.

— Non, répondit Claude.

— Si! Vous accepterez, affirma le gitan. Je ne veux pas leur faire de mal. Je veux seulement reprendre les paquets qu'ils ont cachés. Voulez-vous que votre chien vous soit rendu sain et sauf?

— Oh! oui! s'écria Claude, un sanglot dans la gorge.

— Eh bien, si vous n'écrivez pas ce billet, vous ne le reverrez pas, dit l'homme. Dépêchez-vous de prendre votre crayon et d'écrire. »

Claude obéit.

« Je vais vous dicter, dit Castelli les sourcils froncés.

— Attendez, dit Claude. Comment ferez-vous passer cette lettre aux garçons? Vous ne savez pas où ils sont. Vous ne pourrez pas les trouver si le brouillard ne se dissipe pas. »

Le gitan se gratta la tête et réfléchit.

« Le seul moyen, c'est d'attacher ce billet au cou de mon chien et de l'envoyer à la recherche de mes cousins, dit Claude. Si vous l'amenez ici, je lui donnerai mes ordres. Il les exécute toujours.

— Il portera le billet à la personne que vous lui indiquerez? dit l'homme les yeux brillants. Eh bien, voilà ce qu'il faut écrire : Nous sommes prisonnières. Suivez le chien; il vous conduira à nous et vous pourrez nous libérer. Signez votre nom.

— Je m'appelle Claudine, dit Claude. Allez chercher mon chien pendant que j'écris le billet. »

Le gitan fit demi-tour et sortit. Claude le suivit des yeux, le cœur battant de joie. Castelli se trompait bien en imaginant qu'elle trahirait François et Michel et les ferait venir ici pour être questionnés et rudoyés.

« Je vais lui jouer un bon tour, pensa Claude. J'enverrai Dagobert à Paule… Elle avertira M. Girard. Je suis sûre que le fermier alertera la police. Quelle surprise pour les gitans! Ah! ah! Je vois d'ici leur tête! »

Dix minutes plus tard, le père de Mario revenait avec Dagobert. Un Dagobert triste et morne, qui avait un trou dans la tête. Claude le prit dans ses bras et fondit en larmes.

« Tu as bien mal, mon bon Dago, dit-elle. Je te mènerai chez le vétérinaire le plus tôt possible.

— Vous serez libres dès que les deux garçons seront arrivés et nous auront dit où sont les paquets », promit le gitan.

Dagobert donnait de grands coups de langue à Claude et remuait sa queue. Il ne comprenait pas ce qui se passait. Que faisait Claude dans ce souterrain? Mais il était près d'elle, cela lui suffisait. Il se coucha à ses pieds et posa la tête sur ses genoux.

« Ecrivez ce billet, ordonna Castelli, et attachez- le à son collier de façon qu'on le voie facilement.

— Je l'ai écrit », dit Claude.

Le gitan tendit une main sale et lut :

 

Nous sommes prisonnières. Suivez le chien; il vous conduira à nous et vous pourrez nous libérer. Claudine.

 

« Claudine? C'est votre vrai nom? » demanda l'homme.

Claude hocha la tête. Par extraordinaire, elle était contente de se servir de son nom de fille. Elle attacha le billet bien en vue au collier de Dagobert. Puis elle serra le chien dans ses bras et lui parla gravement.

« Va chercher Paul, Dago, Paul. Tu comprends, Dagobert? Porte ce billet à Paul, dit-elle en tapotant le papier. Dagobert, ne reste pas ici. Va à la recherche de Paul.

— Dites-lui aussi lé nom de l'autre garçon, insista Castelli.

— Oh! non! je ne veux pas lui brouiller les idées, protesta Claude, Paul, Paul, Paul.

— Ouah! ouah! » répondit Dagobert pour montrer qu'il avait compris. Claude le poussa vers l'entrée du souterrain.

« Pars, dit-elle. Dépêche-toi! »

D'un regard, Dagobert lui reprocha de le renvoyer si vite, mais, esclave du devoir, il s'éloigna, le billet à son collier.

« J'amènerai les garçons ici dès qu'ils arriveront avec le chien », dit Castelli; et il sortit.

Claude appela Mario, mais ne reçut pas de réponse. Le petit garçon avait sans doute rejoint les roulottes.

Annie ouvrit les yeux et poussa un cri d'effroi. Claude alluma sa lampe électrique et lui expliqua ce qui s'était passé.

« Tu aurais dû m'éveiller, dit Annie. Oh! ces nœuds! Qu'ils me font mal!

— J'ai un couteau, dit Claude. Mario me l'a donné. Tu veux que je coupe tes cordes?

— Oh! oui! dit Annie. Mais ne nous échappons pas encore. Nous nous perdrions dans le brouillard. Si quelqu'un vient, nous ferons comme si nous étions toujours attachées. »

Claude coupa ses propres cordes avec le couteau de Mario. Puis elle libéra Annie. Oh! quel soulagement de s'allonger et de ne plus sentir les nœuds dans le dos!

« Si nous entendons quelqu'un, nous nous enroulerons les cordes autour de notre taille, dit-elle. Nous resterons là jusqu'au matin. M. Girard et la police arriveront peut-être avant. »

Elles s'endormirent sur le sol sablonneux et personne ne troubla leur sommeil.

 

Et les garçons? Ils somnolaient, mais de temps en temps le froid les réveillait. Par bonheur le sort de Claude et d'Annie ne leur inspirait pas d'inquiétude.

« Elles ont probablement regagné la ferme, pensait François entre deux sommes. En tout cas; le bon vieux Dago est avec elles; c'est l'essentiel. »

Il se trompait. Dagobert trottait dans la lande, inquiet et perplexe, la tête douloureuse. Pourquoi Claude l'envoyait-elle à Paule? Il n'aimait pas Paule et croyait que Claude partageait son antipathie. Alors que signifiait cette mission? Il y avait de quoi déconcerter un honnête chien. Mais les ordres sont les ordres et il obéissait sans discuter. Il ne prenait pas la peine de suivre les rails. D'instinct il retrouvait son chemin.

 

 

 

La nuit touchait à sa fin; mais le brouillard était si épais que le soleil n'arrivait pas à le percer.

Dagobert arriva à la ferme. Il s'arrêta pour rassembler ses souvenirs. Ah! oui! la chambre de Paule était au premier étage, près de celle qu'Annie et Claude avaient occupée.

Il entra dans la cuisine par une fenêtre laissée ouverte pour le chat, monta l'escalier et, arrivé au premier étage, poussa la porte entrebâillée et posa les pattes sur le lit.

« Ouah! ouah! dit-il à l'oreille de Paule. Ouah! ouah! ouah! »